Philippe Sollers: la chair et l'esprit
par Jean-Maurice de Montremy
Roman

Sollers JDDS'AGISSANT du « roman », Philippe Sollers s'en tient, dans Les Voyageurs du Temps, à l'esquisse d'une intrigue. Le narrateur croise la jolie Viva dans un improbable centre de tir, logé par le ministère de la Défense près de l'église parisienne Saint-Thomas-d'Aquin, à deux pas des éditions Gallimard. S'ensuivent des rendez-vous amoureux avant que la belle - un agent des « services » - soit expédiée à Hong Kong. Ce libertinage sur fond de société secrète (thèmes chers à l'auteur) n'est qu'un sfumato, un arrière-plan vaporeux, duquel se détachent les parcours de l'auteur à travers le calme labyrinthe de ce quartier chargé d'histoire et de littérature.

Sollers évoque Aragon et Le Paysan de Paris. On pense plutôt à Restif de La Bretonne: M. Nicolas, dans les dernières années du XVIII' siècle, arpentait la capitale, gravant sur les murs des rébus chargés d'y sceller ses souvenirs, si bien qu'il les retrouvait, à chaque promenade, comme un texte codé. Ainsi de Philippe Sollers relisant au hasard d'une rue, d'une petite place ou d'un angle de son bureau, ce que lui suggère une façade, un café, une plaque commémorative... Autant de rendez-vous avec les « voyageurs du temps » que sont ses auteurs de prédilection: Dante, Kafka, Lautréamont, Rimbaud, Céline et quelques autres dont Lawrence d'Arabie, maître en stratégie et guérilla. Sans compter la musique, la peinture, la politique. « Mon cerveau a son propre orchestre, il improvise, il compose, il enchaîne, il va dans tous les sens et c'est souvent le bordel. »

Non, ça ne l'est pas. Sollers est ici à son mieux, sans les forfanteries et coquetteries auxquelles il cède parfois. Lorsqu'il se décrit comme la Bête assaillie par le grouillement des Parasites, lilliputiens de la pensée, il y met l'humour et la distance d'un vrai style. Et l'on se promène avec plaisir parmi ses lectures, ses citations, ses associations d'idées et ses songeries.

Sans s'en donner l'air, ce voyage autour d'une vie peuplée de livres et d'art conduit le lecteur vers une réflexion tout en nuances sur la chair (qui connaît un bel automne) et l'esprit (que rien n'apaise). Où l'on retrouve la fascination de Sollers pour les dogmes catholiques: de l'incarnation jusqu'à la résurrection et autres corps glorieux, en passant par l'assomption de la Vierge. Ce subtil dosage de provocation, de poésie et de respect pour le mystère nous vaut des pages remarquables sur le manichéisme et les courants gnostiques, si puissants dans les premiers siècles. Jamais passé n'a paru aussi présent que celui-ci dans l'actuel brouhaha d'idéologies déconstruites.

Le Journal du Dimanche du 11 janvier 2009

Les Voyageurs du Temps
de Philippe Sollers,
Gallimard, 250 p., 17,90 €

 

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