Philippe Sollers

Sollers_Voici-18 Mai 2017_Photo Elsa_Trelat

Mon adrénaline me suffit

 

 

Voici : Vous avez dialogué avec les plus grands intellectuels du XXe siècle, Voici, ça doit vous changer !

 

Philippe Sollers : Il faut s'adapter ! On est dans le spectacle généralisé, il suffit de savoir ce qu'on dit, à qui on le dit, au moment où on le dit. La personne qui est là, c'est vous, et je vous remercie.

 

Fumer avec un porte-cigarette et arborer la coupe de cheveux de Jeanne d'Arc, c'est stylé, non ?

 

Allez-y, détaillez-moi, dépecez-moi ! (Rires) Non, c'est parce que je n'aime pas sentir le filtre sur les lèvres. J'ai bien d'autres manies, vous savez...

 

En 1999, vous avez écrit : « La France est très moisie, elle mérite Sarkozy. » Comment qualifieriez-vous l'ambiance d'aujourd'hui?

 

Elle méritait la vulgarité et la bêtise de l'ancien président. Le FN est, lui, aussi inculte que ridicule. S'il était passé, cela aurait prouvé à quel point l'abrutissement était devenu général.

 

Vous avez un point commun avec Emmanuel Macron : les femmes mûres...

 

Attention, Mme Macron n'est pas un canon de beauté ! Moi, j'ai connu ça à 22 ans avec une très belle femme de 45 ans. A l'époque, c'était extrêmement tabou, c'était aussi refoulé que l'homosexualité.

 

En tant qu'éditeur, vous dites que deux pages d'un manuscrit suffisent pour être fixé. C'est comme ça que vous avez raté le premier roman d'Amélie Nothomb?

 

Mais non, c'est l'histoire qu'elle propage ! Je lui ai demandé dix fois par voie de presse de montrer la lettre où je refusais son manuscrit ! Elle a son talent, son public, ouais... bon... Elle est surtout charmante, elle boit beaucoup de champagne.

 

Vous, pour éviter d'être mobilisé en Algérie en 1962, vous avez simulez la schizophrénie : trois mois d'HP...

 

Oui, j'ai abusé le psy qui me demandait de dessiner un homme et une femme. J'ai fait des sexes très apparents et pas de bras : « Terrain schizoïde aigu » ! Je dois la vie à Malraux qui m'a libéré. Je ne m'alimentais plus, j'avais une lame de rasoir dans mon pyjama. Je serais allé au bout. Je peux me suicider, hein, je n'en fais pas toute une histoire.

 

En 1973, le même Malraux avait salué la sortie de votre livre, H, un ouvrage écrit sous haschich. Le savait-il ?

 

Je ne sais pas, mais lui était rarement dans un état normal. Malgré le titre explicite, aucun journaliste ne m'a posé de question à part un Allemand, à qui j'ai expliqué que j'ai longtemps pratiqué le merveilleux haschich noir afghan.

 

Vous parlez moins des livres écrits sous coke ou speed, pourquoi ?

 

Le cannabis est plus établi. J'ai arrêté, je n'ai plus besoin que de mon adrénaline, la vraie. Mais j'ai été le premier à avoir expérimenté la drogue des tueurs de l'Etat islamique : le captagon. C'est une amphétamine extrêmement puissante qui m'avait été prescrite – interdite aujourd'hui. A mon avis, les tueurs du Bataclan en avaient pris : vous êtes le roi du monde, c'est comme la cocaïne en plus violent. Démarrage foudroyant et descente insupportable.

 

Vous êtes libertin et catholique. Quarante ans de mariage, ça s'entretient en restant coquin ou en passant au « compagnonnage », comme vous dites?

 

La fidélité sexuelle est une absurdité, on est hyper réactionnaire sur cette question. Les femmes sont pour moi des camarades de combat. Il y a une fidélité intellectuelle profonde. Ma femme, Julia Kristeva, et moi avons écrit Du mariage considéré comme l'un des Beaux-Arts, qui analyse notre relation depuis notre mariage en 1967.

 

Ce mariage n'a pas interrompu votre relation avec une écrivaine belge. Comment faire accepter cette polygamie ?

 

Ça consiste à savoir se taire. Il ne faut RIEN se dire ! Pour cela, il faut un emploi du temps de militaire, c'est capital. La clandestinité est un art.

 

Vous avez un fils autiste de 41ans...

 

Il n'est pas autiste, un journaliste a écrit qu'il était sourd-muet, pas du tout. Il a eu des ennuis neurologiques et les surmonte avec un courage considérable.

 

La dernière fois que je vous ai vu, vous tendiez la main comme pour un baisemain. Vous ne le faites plus ?

 

Non ! Vous confondez sans doute avec le pape ! (Rires)

 

 

 

Propos recueillis par Magali Aubert

Voici n°1540 du 12 au 18 mai 2017

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