Philippe Sollers

 

 

 

L'Infini 134 - Mouvement

 

L’INFINI n° 134, Hiver 2016 - Mouvement

 

 

 

 

 

Sommaire

 

 

Philippe Sollers, Mouvement
Bertrand Bellamy, S : Secret du Style
Hervé Couchot, La main de Nietzsche
Louis-Henri de La Rochefoucauld, La Rochefoucauld, ancêtre de Guy Debord
Joseph de Maistre, Correspondance diplomatique
Julia Kristeva, L'Horloge enchantée
Jean-Yves Pouilloux, Jean Paulhan
Gordon Lish, Verbiage
Jack Kerouac, Journaux de bord (1947-1954)
Marcelin Pleynet, Dés tambours

 

 

 

 

 

 

Lascaux - Mouvement

 

 

 

MOUVEMENT

 

LASCAUX

 

 

 

 

  En septembre 1940, des enfants découvrent par hasard la caverne de Lascaux. Georges Bataille descend, et voit :

  « Un jour était découverte dans les bois, près d’un bourg de Dordogne, cette caverne des mille-et-une nuits. Merveilles énigmatiques, inattendues, ces figures éveillaient l’écho de l’une des fêtes les plus lointaines de ce monde. Tout à coup mises à jour, ces peintures n’avaient pas seulement l’apparence qu’elles auraient eu peintes hier : elles avaient un charme incomparable et, de leur composition désordonnée, une vie sauvage et gracieuse émanait. »

 

  J’ai lu, très jeune, ce livre admirable au bord de l’océan, j’ai longuement marché dans la nuit, en pleine tempête, j’ai pris une voiture le lendemain, j’ai foncé vers Lascaux. À l’époque, l’entrée était libre, l’air n’avait pas encore produit de dégâts, les microbes des touristes n’étaient pas venus infecter les peintures. Je vis toujours avec ce voyage au cœur de la terre légère. J’ai compris, puisque j’avais soudain 15 000 ans, pourquoi la Dordogne, en ces temps si anciens, avait pu être le centre du monde. Bataille parle de « cet éclat merveilleux de la richesse pour laquelle chacun se sent né ». Je ne savais pas que j’étais né pour une telle richesse.

 

  Au milieu des taureaux, des bisons, des vaches, des bouquetins, des chevaux, des rhinocéros, des cerfs, des blasons, des mains négatives, dans le flamboiement des couleurs, j’entendais un énorme son qui n’a jamais quitté ma mémoire. Ça vrombissait, mugissait, rugissait, soufflait, grondait, ou, plus exactement, ça se taisait de façon massive et assourdissante. Voilà ce qui me réveille la nuit. Les bisons furieux et ithyphalliques, les élégantes têtes de cerfs nageant sur une rivière invisible, appelaient le contact de la main. J’ai touché ce miracle, mes doigts sont restés dans la roche, là-bas. Je n’ai plus eu de nom, j’ai seulement vérifié la présence des morts qui l’ont indirectement porté, sur des plaques tombales à demi effacées, au cimetière de Montignac, sur la Vézère, lieu dont mon grand-père maternel est originaire. La caverne enchantée parle à deux pas de là. Je me suis saoulé au soleil.

 

 

 

Photo Sophie Zhang - L'INFINI-134

 

 

Éditions Gallimard

Parution : 11-02-2016

 

L'INFINI n°134, Hiver 2015

 

 

 

 

twitter
rss

 

 
rss