Philippe Sollers
DU DIABLE
Pour aborder ce personnage qu'on appelle le Diable, nous allons voir quels
sont ses appellations et ses rôles multiples et fondamentaux dans l'histoire
telle qu'elle est racontée par les Évangiles. Je les relis, et je suis
saisi chaque fois par la beauté concentrée de ces quatre récits.
J'irai, après les tentations au désert, chez Matthieu 16 et chez Jean 8,
35, où Satan, le Diable, joue un rôle tout à fait révélateur. Je voudrais
d'abord vous dire que je crois qu'il faut nous dessaisir de trop d'érudition,
de trop de connaissances, pour aller si possible — je vous parle en
écrivain et en romancier — sur la force de ce qui se passe là comme
révélation.
Un autre dessaisissement, beaucoup plus difficile, parce que l'érudition
est quasiment un peu lanternante maintenant,
doit avoir lieu par rapport à la représentation généralisée, que je vais
appeler cinéma. Dès qu'on fait du cinéma avec ça, et Dieu sait s'il y en a, si
vous êtes devant ces textes, ces récits, comme si vous assistiez à un film,
attention, c'est fini. Le Diable, en l'occurrence, l'a fort bien compris,
puisque vous n'avez que ça sur les écrans à longueur du temps, Anges et
démons, Dan Brown, etc., tout cela serait du cinéma au fond. Le texte s'y
prête mais s'y refuse. Il dit autre chose qui n'est pas filmable.
Donc, je crois que nous devons être présents d'une façon nouvelle à cette
histoire et que, pour être tout à fait présents, il faut que nous n'ayons pas
trop de connaissances, nous empêchant de lire la chose elle-même, et que
nous ne soyons pas fascinés par la société du spectacle, puisqu'il faut
l'appeler par son nom. Pour être présents, je vous propose d'aborder les
prières fondamentales, le Notre Père, le Je vous salue Marie, par quoi
nous sommes encore catholiques, il faut s'accrocher à cela, et je pense que un : il ne faut pas dormir pendant ce temps-là; deux : qu'il faut
parfois prier dans le secret. C'est très bien de dire nous, mais avant
de dire nous il faut savoir si un je est là.
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