Philippe Sollers

 

Philippe Sollers L'École du Mystère

 

Gallimard, 2015

Les leçons de Philippe Sollers, Le Monde du 6 février 2015

Presse

extrait : Tombeau de Heidegger

 

Philippe Sollers - L-École du Mystère - roman Philippe Sollers - L'École du Mystère, photo Sophie Zhang © Gallimard

 

 

Entretien, Bulletin Gallimard, janvier/février 2015 (pdf)

 

Philippe Sollers. L'École du Mystère. Entretien


«"Qui connaît la joie du ciel ne craint ni la colère du ciel, ni la critique des hommes, ni l'entrave des choses, ni le reproche des morts."
Zhuangzi


De nos jours, […] il convient d'ajouter "ni l'aigreur des femmes", et de mettre l'accent sur "le reproche des morts".
Mystère de la foi, mystère de la joie du ciel.»

 


Cette « École du Mystère » n'évoque évidemment pas n'importe quelle école ni n'importe quel mystère…


L'École du Mystère, c'est une école qui ne peut produire que des singularités, où l'on peut progresser dans le mystère à partir du fait qu'on n'espère aucune évaluation, à l'inverse de l'école républicaine, qui est là – enfin, qui était là ! — pour évaluer, pour former des ensembles. C'est une école à la fois physique et métaphysique, métaphysique parce que tout commence par une messe, par ce moment de la transsubstantiation qui est l'infilmable même — et que je propose tout de même de filmer !


Et pour ce qui est du versant physique ?


Pour moi, le cœur du livre se trouve dans cet inceste frère-sœur revendiqué, avec ce personnage très singulier qui s'appelle Manon. C'est d'une certaine façon une suite à Portrait du joueur, où ces jeux de rôles dans l'acte érotique étaient mis en perspective. Cette fois-ci, la situation est aggravée par le personnage de la tante, Odette : c'est un inceste au carré, si on peut dire !
Cette interrogation sur l'inceste, qui est quand même une transgression de la loi fondamentale, permet le déploiement d'une clandestinité revendiquée comme telle. Depuis cette position se déploie une critique générale de la société et des nouveaux rapports extrêmement perturbés entre les hommes et les femmes.


Au personnage de Manon s'opposent les «Fanny»…


Ces personnages qui sont légion, que j'appelle des Fanny, peuvent être indifféremment des femmes ou des hommes de notre temps, qui sont dans l'impasse ou la revendication de normalisation généralisée. Et comme on ne cesse d'en rencontrer, le narrateur choisit quelques exemples de Fanny, femmes ou hommes, qu'il étudie à la manière d'un enquêteur de terrain.


Vous affirmez «l'athéisme sexuel est rare»…


Nous vivons une époque où la croyance dans le sexe est devenue massive, et l'athéisme sexuel consiste à refuser de se rendre perméable à cette intoxication permanente et d'ailleurs contradictoire — d'un côté une publicité radieuse, de l'autre une misère sexuelle. La guerre des sexes est vérifiable jour après jour, matin et soir, avec en même temps un désir de normaliser toutes les pratiques sexuelles, il n'y a qu'à voir le mariage pour tous ! Ensuite, la souveraineté de la technique étant ce qu'elle est, qu'il s'agisse de procréation médicalement assistée ou de gestation pour autrui, nous vivons à l'époque du biopouvoir.


Quel est l'enjeu de ce biopouvoir ?


Ce qui est visé, c'est le cerveau. Si vous passez votre temps à pianoter, à croire que vous communiquez — mais la littérature n'a rien à voir avec la communication —, ce muscle qui s'appelle la mémoire, qui s'entretient par la lecture, par l'écriture, va s'atrophier de plus en plus. Et ce temps de cerveau disponible va être récupéré par les médias, la publicité… Attention, c'est très sérieux, je crois que c'est le cœur du problème. On est dans un changement d'ère, dans une mutation, il faut savoir si on est capable ou non de tenir debout face à elle.


Comment réagir face à cette désagrégation générale ?


Le problème, c'est : où en sommes-nous avec le temps ? Non pas l'éternel présent communicationnel ou télévisuel, mais le temps de l'histoire. Nous avons la possibilité d'être renseignés comme jamais sur l'histoire. Nous avons la possibilité comme jamais de nous servir de l'immense bibliothèque où les morts sont plus vivants que les morts-vivants, d'avoir une discothèque énorme, inimaginable du temps de Mozart. Nous avons tout à disposition, sauf qu'il n'y a plus personne. Sauf, éventuellement, des singularités, ces singularités que seule peut former l'École du Mystère. D'où le choix de cette singularité majeure qu'est l'inceste, d'autant plus s'il est heureux.
Disons que sous une forme très calme, le livre déploie une ironie ravageante pour une époque ravagée : le corps est visé, le cerveau est visé, l'histoire est visée. Voici donc une contre-attaque : c'est un livre parfaitement révolutionnaire.


Entretien réalisé avec Philippe Sollers à l'occasion de la parution de L'École du Mystère.


© Gallimard

 

Philippe Sollers L'École du Mystère

 

 

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