juin 2011

Philippe Sollers

Le journal du mois

Philippe Sollers
Li Na

 

Aubry


Je suis comme vous, je trouve que le feuilleton politique français est lourd, lent, crispant, déprimant. Après le polar porno DSK (dont les épisodes ennuyeux vont se succéder longtemps), j'attends avec impatience la candidature de Martine Aubry, qui va relancer l'action dans tous les sens. Grâce à l'humour corrézien de Chirac, Hollande vient de recevoir une déclaration d'amour sous forme de pavé de l'ours. Allons plus loin : Chirac s'ennuie, il ne peut plus supporter Bernadette, qui lui vante tous les jours Sarkozy, il trouve Hollande plutôt mignon, il veut s'amuser, légaliser le cannabis, légitimer le mariage homosexuel, faire sa révolution personnelle. Il divorce, demande la main de Hollande, lequel accepte de l'épouser, et ils sont tous les deux élus dans un fauteuil à la présidence de la République.

Ce que la France de toujours doit éviter par-dessus tout, c'est qu'une femme soit enfin présidente. Depuis la loi salique, qui exclut les femmes du pouvoir suprême, là est le vrai problème, le seul. Nous sommes donc encore sous l'Ancien Régime, et, après tout, les femmes n'ont le droit de vote que depuis 1945. Voyez ce que le sénateur Bérard, pourtant de "la gauche démocratique", disait encore en 1919 : "Plus que pour manier le bulletin de vote, les mains des femmes sont faites pour être baisées, baisées dévotement quand ce sont celles des mères, amoureusement quand ce sont celles des femmes et des fiancées. Séduire et être mère, c'est pour cela qu'est faite la femme."

Les exemples de sexisme ordinaire sont innombrables et peuvent aussi bien venir de la jalousie des femmes contre les femmes. Je rêve toujours d'une finale Martine-Marine. Mais si c'est un match Sarkozy-Aubry, voilà un magnifique spectacle en perspective. Allez Aubry!

Li Na


Vous êtes submergés par une sorte de folie planétaire : sécheresse, bactéries en goguette, concombres et steaks hachés suspects, massacres tolérés en Syrie et au Yémen, faillite de la Grèce. Je n'aurais jamais cru possible de voir un jour un Premier ministre chinois sourire devant l'Acropole, en vrai propriétaire des lieux. Les Chinois achètent la Grèce, ce qui fait un sacré trou dans l'Histoire. Ils achètent les ports pour s'introduire en Europe, mais aussi les aéroports, les trains et bientôt les plages. En messagère inattendue, voyez la merveilleuse Li Na, victorieuse de Roland-Garros. Rapidité, légèreté, maîtrise, elle annonce l'ère des Chinoises de l'avenir. Déjà imbattables au ping-pong, voilà les Chinois au tennis. Je me souviens avoir disputé autrefois une partie de ping-pong à Pékin avec des lycéens chinois. Ils me laissaient gagner par courtoisie, mais je ne pesais pas lourd. Au tennis, Li Na me balaierait d'un revers de main désinvolte. Allez Li Na!

Rue Gallimard

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L'ancienne rue Sébastien-Bottin, dans le 7e arrondissement de Paris, s'appelle désormais rue Gaston-Gallimard (1881-1975). Elle n'a étrangement qu'un seul numéro : le 5. Gaston, le grand-père d'Antoine, l'actuel propriétaire des éditions du même nom, est une légende, indissociable de celle de La Nouvelle Revue française (NRF). Dans son discours émouvant, le maire de Paris n'a cité, pour s'en démarquer, qu'un seul nom d'écrivain français : Drieu La Rochelle, directeur politiquement incorrect de la NRF pendant l'Occupation nazie, et suicidé en 1945. Le maire l'a qualifié de "grand écrivain", ce qui est sans doute exagéré par rapport à un beaucoup plus grand écrivain compromettant, Céline. Cependant, à la fête du soir, où une foule a bu et dansé dans les jardins, un observateur visionnaire aurait pu discerner dans les arbres un certain nombre de fantômes locaux réconciliés : Gide, Valéry, Claudel, Proust, Breton, Drieu, Aragon, Camus, Genet, Sartre, Malraux, Céline. Il y avait du champagne, et la fête a recommencé le lendemain pour les mille employés de cet endroit enchanté. Je travaille donc maintenant au 5, rue Gaston-Gallimard. Photo de Gaston : grand-bourgeois dandy anarchisant, chapeau et fume-cigarette. Après cent ans d'existence, la rentrée littéraire, ici, bat déjà son plein.

Théophile Gautier


Théophile Gautier (1811-1872) est l'immortel jeune homme au gilet rouge qui s'est rendu célèbre, en 1830, lors de la bataille d'Hernani. Le premier romantisme français a eu un panache extraordinaire. Gautier écrit, par exemple : "Nous regardions, en ce temps-là, les critiques comme des cuistres, des monstres, des eunuques et des champignons." Dans sa belle biographie de Gautier, qui vient de paraître*, Stéphane Guégan cite ce souvenir du révolté de l'époque, qui pourrait être signé aujourd'hui par un ancien soixante-huitard : "Cette soirée décida de notre vie ! Bien du temps s'est écoulé depuis, et notre éblouissement est toujours le même. Nous ne rabattons rien de l'enthousiasme de notre jeunesse, et toutes les fois que retentit le son magique du cor, nous dressons l'oreille comme un vieux cheval de bataille prêt à recommencer les anciens combats."

Gautier s'est parfois trompé (il ne voit pas la révolution de Manet, par exemple), mais son combat est très bien décrit par Guégan : "Poète, journaliste, librettiste, grand voyageur, Gautier défendit d'autant plus la pleine liberté de l'artiste et l'autonomie de l'art qu'il les savait impossibles. Sa sacralisation du créateur, étrangère à celle des prophètes du passé ou de l'avenir, est toute de provocation et de libertinage, d'adaptation stratégique et donc de détournement. Moderne et antimoderne par résistance aux effets pervers du nivellement démocratique, Gautier dressa la gratuité de l'art et l'aristocratie de l'artiste en remparts à toute forme d'utilitarisme direct, d'embrigadement idéologique et de morale. La sienne, peu corsetée, fut d'abord celle de la jeune France des années 1820, première génération à se proclamer comme telle, contre le vieillissement et le raidissement du pays légal."

Cette "jeune France" existe-t-elle toujours sous le rouleau compresseur du conformisme ambia? Peut-être. En tout cas, quelqu'un a traité Gautier de "parfait magicien des lettres françaises", et ce n'est pas n'importe qui : Baudelaire, qui, à l'époque, lui dédie un livre bientôt poursuivi par la justice. Son titre? Les Fleurs du mal.

*Gallimard, 2011

 

Philippe Sollers

Le Journal du Dimanche, 26 juin 2011

 

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