Philippe Sollers

 

« Ce tableau s'imposera toujours »

Philippe Sollers

Philippe Sollers, photo: Hélène Bamberger/Le Figaro


INTERVIEW - Le Musée du Louvre vient de reconnaître que le célèbre portrait d'un philosophe feuilletant un gros volume, peint par Fragonard vers 1769, n'est pas celui de Denis Diderot. Philippe Sollers voue «une admiration passionnée» au peintre. Son essai Les Surprises de Fragonard a été réédité chez Gallimard.

Fragonard, portrait de Diderot

Fragonard (1732 - 1806), Portrait de Diderot, (vers 1769), musée du Louvre

LE FIGARO. - Un portrait de Diderot disparaît. Comment réagissez-vous à cette nouvelle?

Philippe SOLLERS. - Et c'est le plus beau! Celui qui lui va le mieux! Qu'importent finalement les faits: ce tableau s'imposera toujours dans l'imaginaire collectif comme étant Diderot. La touche enlevée de Fragonard, sa vitesse d'exécution, son brio, sa puissance créatrice, correspondent à l'esprit de l'auteur des Bijoux indiscrets. Fragonard a peint un corps sensible, actif, comme l'étaient ceux des Lumières. C'est-à-dire qu'il a saisi la vie, ce sensualisme que tout le monde cherchait alors à définir. En contemplant ce tableau, vous sentez l'énergie effervescente, plurielle et vivante du génie. Et vous touchez presque ses habits, ses papiers… C'est en tout cas, «Le» portrait type de l'écrivain des Lumières.


Les surprises de Fragonard SOLLERS

Philippe Sollers, Les surprises de Fragonard, repris dans La Guerre du Goût, Gallimard, folio n°2880


Votre admiration pour Fragonard est-elle affectée?

Pas du tout. Van Loo est beaucoup plus académique. On a toujours le choix entre une peinture conventionnelle et une autre qui l'est moins. J'adorerai toujours Fragonard, et pas seulement pour sa peinture érotique. Il est très singulier. À part lui qui a su saisir l'écrivain à l'époque de son sacre? La seule œuvre comparable ce serait la statue de Voltaire par Houdon. Fragonard est lui-même un lettré, il aime les poètes du passé tout comme les auteurs de son temps. Il connaît son Cervantès comme les récits libertins ou moraux du XVIIIe, et les contes licencieux de La Fontaine. Sa passion est communicative. Son art annonce l'impressionnisme du XIXe siècle. Renoir notamment l'a beaucoup aimé.

Le style, c'est important…

Tout le monde devrait faire ce que je fais actuellement: lire le livre magnifique de Jean Starobinski Diderot, un diable de ramage qui vient de paraître («Bibliothèque des idées», Gallimard). Pour Diderot le ramage, c'est le style. Un style dont l'écrivain est conscient et sait jouer. Il en va de même pour Fragonard. Derrière la question du style c'est de celle de l'invention de la liberté qu'il s'agit.

PHILIPPE SOLLERS

Le Figaro du 21 novembre 2012, propos recueillis par Eric Bietry-Rivierre