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Le Figaro 28 nov 2011

«Casanova, un éminent représentant de la philosophie française.»

Par Sébastien Le Fol

Auteur d'un Casanova l'admirable («Folio», Gallimard), l'écrivain Philippe Sollers se passionne depuis longtemps pour l'aventurier vénitien. Les péripéties du manuscrit d'Histoire de ma vie seront d'ailleurs évoquées dans son nouveau roman, L'Éclaircie, à paraître le 5 janvier prochain.

LE FIGARO. - La Bibliothèque nationale de France expose le manuscrit d'Histoire de ma vie, de Casanova. Que représente ce texte?

Philippe SOLLERS. - C'est avant tout un grand texte de la littérature française. Casanova en entame l'écriture à l'âge de 64 ans, en 1789. Il est alors en exil à Dux, en Bohême. Deux ans plus tôt, il a été le témoin de l'arrivée de Mozart et de Da Ponte à Prague pour la représentation de Don Giovanni, et il a participé à l'écriture du livret. Quand il se met à Histoire de ma vie, il est déprimé, il sent que l'on va changer de monde. S'il pense que la Révolution française était inévitable, il condamne la Terreur. La rédaction de son catalogue va l'occuper treize heures par jour pendant neuf ans. C'est un texte vivant et passionnant. Casanova s'y affirme comme un écrivain de tout premier ordre, comme Voltaire et Laclos.

Qui était vraiment Casanova?

L'une des personnalités les plus prestigieuses des Lumières, un éminent représentant de la philosophie française. Sait-on qu'il a traduit L'Iliade, fait des recherches en mathématiques? C'était également un espion chargé de missions secrètes et un grand joueur.

Et pourtant, la postérité n'a retenu de lui que le trousseur de jupons…

Le cinéma en a fait un mythe façon Don Juan. Quel malentendu ! C'est le sort, hélas, que l'on réserve au XVIIIe siècle. Qu'est-ce qu'on lui reproche, au fond ? D'avoir raconté sa vie sexuelle diversifiée. Il est miraculeux que son manuscrit ait survécu à la pudibonderie régnante.

Aurait-il du succès auprès des femmes d'aujourd'hui?

Casanova avait un grand respect pour la liberté des femmes. Il a connu des amours très fortes. Grand et beau, il bénéficiait du «suffrage à vue». Certaines femmes ne dédaignent pas le suffrage à vue… Souvent caricaturé, son liberti­nage est avant tout une philosophie. Dans la préface à Histoire de ma vie, il parle même de Dieu. Il se lance dans une apologie très singulière de la prière. Casanova était contre le désespoir qui tue.

La France n'entretient-elle pas un rapport ambigu avec cet Italien?

Il y a une gêne considérable à son égard. Il symbolise le complexe français à l'égard de l'Italie. «France, mère des arts…», c'est une plaisanterie ! Que cet Italien, vénitien de surcroît, ait écrit aussi génialement en français, cela ­passe mal.

François Mitterrand vous en parlait avec des trémolos dans la voix. Pourquoi fascine-t-il autant les hommes politiques?

Ils se demandent sans doute comment on peut séduire sans user de la domination du pouvoir. Casanova a toujours été indépendant et libre.

Le Figaro du 28 novembre 2011