Août 2008

PHILIPPE SOLLERS

Le journal du mois

 

Chine


Les Jeux olympiques de Pékin ne devaient pas avoir lieu. Il y aurait des attentats, une pollution asphyxiante, une désorganisation monstre, des manifestants tibétains ou musulmans, mais la menace la plus sérieuse était l’absence du président français pour la cérémonie d’ouverture. Sans la présence de Nicolas Sarkozy, les Chinois peuvent-ils exister ? Grave question, qui a ému la planète entière. La France des droits de l’homme pouvait-elle accepter de reconnaître ce pays hitlérien ? Berlin 1936, Pékin 2008, même chose. On attendait au moins une révolte des sportifs au grand coeur.

Là-dessus, les Chinois nous offrent un spectacle monstre (ils savent faire), célébrant leur culture millénaire avec une arrogance infernale. Où était la France il y a deux mille ans ? On se le demande. Et aujourd’hui ? On ne sait plus très bien. Laure Manaudou fait naufrage, Alain Bernard sauve un peu l’honneur, seuls les sabreurs français m’ont arraché des larmes. C’est quand même bien peu face aux huit médailles d’or du phénomène Michael Phelps, et à la performance éblouissante des Jamaïquains, Usain Bolt au 100 mètres, et le triplé féminin, un vrai rêve. Les Jamaïquaines, voilà l’avenir. Au passage, il me semble nécessaire de rappeler que la Chine, aujourd’hui, compte 253 millions d’internautes. Ce n’est qu’un début, j’en ai peur. Une petite satisfaction quand même : le siège du Front national a été racheté par une université de Shanghai.


Dalaï-lama

Vais-je me convertir au bouddhisme tibétain ? J’y pense. Paix intérieure, paix extérieure, écharpe blanche, bonne humeur, art de la communication impressionnant, quand on pense que le coeur de cette expérience de calme néantisant est le vide. Le dalaï-lama, en toute modestie humoristique, accepte sans broncher qu’on l’appelle "Océan de sagesse", "Sa Sainteté" et même "Joyau accompli". Ces termes, d’après moi, pourraient m’être aussi décernés s’il y avait une justice en ce monde. Mais enfin, la place est prise, il y a de plus en plus d’adeptes en France, de belles jeunes femmes prient en silence, on entend des clochettes, et voici Carla Bruni, pour l’inauguration d’un temple, qui montre la voie à la résignation par rapport au pouvoir d’achat. Ségolène Royal, qui estimait scandaleux d’avoir été photographiée agenouillée dans une église de Rome, éclate de joie et de sérénité quand le dalaï-lama la prend en écharpe. Manuel Valls, lui, saute en l’air. La gauche est donc au rendez-vous spirituel du siècle. Voilà ce que nous avons à dire, nous, aux méchants Chinois. Le dalaï-lama, désormais, écoute sans arrêt l’album de Carla. Il sera rendu obligatoire dans la formation monastique.

Comment, espèce de libre-penseur, vous préférez entendre une messe de Mozart ? Vous penchez pour le pape, malgré ses odieuses considérations sur la sexualité ? Vous iriez plutôt à Notre-Dame de Paris que dans un temple tibétain de province ? Plutôt Michel-Ange que les gros bouddhas peinturlurés assis dans leur éternel et souriant sommeil ? Vous me décevez beaucoup, vous n’avez pas d’âme.


Russes

Parmi les obscénités de l’époque, on aura donc vu Poutine s’incliner avec des fleurs, devant le cercueil de Soljenitsyne. On préfère oublier la gêne extrême produite par l’arrivée de Soljenitsyne en France avec son Archipel du Goulag, lequel a été décisif pour toute une génération. Enfin, bon, cet homme exemplaire s’est voulu russe jusqu’au bout, c’était sa religion, là encore nous ne sommes pas à Rome. Après le cercueil de Soljenitsyne, Poutine, fou de jalousie par rapport aux Jeux olympiques chinois, a voulu rappeler son existence à poigne. Et hop, un tour de tanks en Géorgie, avec bras d’honneur aux Etats-Unis comme à l’Europe. Oléoducs, que de crimes sont commis en votre nom ! Ce qui serait beau, c’est une visite éclair du dalaï-lama à Moscou pour prêcher la paix au Kremlin. L’écharpe blanche irait très bien à Poutine. A qui ira-t-elle le mieux ? A Obama, champion du spectacle, ou au vieux McCain, sauveur des petits Blancs apeurés ? La France combat pour la paix contre le terrorisme : dix morts en Afghanistan, c’est quand même beaucoup.

Océan de sagesse ou océan d’argent ? Mon coeur balance. Quant à faire, mieux vaut être un oligarque comme Mikhaïl Prokhorov, 43 ans, qui vient d’acheter, pour 496 millions d’euros, la célèbre villa Leopolda à Villefranche-sur-Mer (un temple bouddhiste ne ferait pas mal dans les environs). Ce sympathique individu aura 50 jardiniers pour s’occuper de ses massifs, et voilà comment on fait fortune à l’ère de la flambée des matières premières. La Côte d’Azur est russe, le prochain Eldorado pour les tanks financiers devrait être le Maroc, et surtout Marrakech. Ah, la belle vie ! Et comment oublier que ce Prokhorov s’est vu inquiété, puis blanchi, après une fête à Courchevel à laquelle ont participé 25 prostituées... ? Le grand style.


Antisémitisme


Sur l’antisémitisme qui, paraît-il, agite encore quelques crétins, Nietzsche a tout dit dans une lettre à sa soeur : "Je me fais un point d’honneur de me sentir absolument propre et sans ambiguïté par rapport à l’antisémitisme, c’est-à-dire opposé à lui, ainsi que je le suis dans mes écrits. J’ai récemment été persécuté par des lettres et des feuillets de Correspondance antisémite : pour parler aussi franchement que possible, ce parti (qui n’aimerait que trop utiliser mon nom !) m’inspire du dégoût... et le fait que je sois incapable de faire quoi que ce soit pour lutter contre, et que dans tout feuillet de correspondance antisémite on utilise le nom de Zarathoustra, m’a déjà rendu malade à plusieurs reprises."

Nietzsche, en son temps, n’a eu aucun mal à diagnostiquer, dans le bouddhisme, une forme achevée de nihilisme. Au fait, y a-t-il un libre-penseur tibétain ? Il faut que je pose la question à la soeur du dalaï-lama, qui, humblement, se fait appeler "vénérable". On m’assure pourtant que le dalaï-lama s’est mis à lire la Bible, mais je n’en crois rien.

 

PHILIPPE SOLLERS

Le Journal du dimanche, 24 août 2008

Mozart

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