Des événements récents ont éclairé d’un jour nouveau les rapports entre Mozart et l’Église catholique

Le pape et Mozart

Mozart

 

La nouvelle, l’été dernier, est passée presque inaperçue. Le pape Benoît XVI, pendant ses vacances dans le Val d’Aoste, disait se reposer et jouer de temps en temps, au piano, son musicien préféré : Mozart. Une autre nouvelle, tout aussi insolite, a suivi, n’entraînant (comme c’est étrange) aucun commentaire. La responsable des appartements pontificaux n’est plus une religieuse, mais une Allemande de 56 ans, Ingrid Stampa (quel nom !), faisant ses courses à bicyclette dans Rome, mais surtout spécialiste de musique médiévale et virtuose de la viole de gambe.


Un pape, Mozart, une violiste, que demander, surréalistement, de plus ? On se croirait dans un de mes romans, comme quoi la réalité rejoint parfois la fiction quand celle-ci connaît la musique.


On m’accordera sans peine que ce n’est pas tous les jours qu’un pape joue du Mozart.  Après le tank Jean-Paul II, les doigts de Benoît XVI. Ce pape allemand n’est donc pas fasciné par Wagner? Voilà une nouvelle qui aurait plu à Nietzsche. Je vois son sourire d’ici. Mais vous me dites aussitôt que ce pape est réactionnaire, et c’est tout de suite la litanie : pas de femmes prêtres, préservatif, sida, pédophilie, contraception, avortement, homosexualité, mariage des prêtres, crise des vocations, églises vides, retardement de l’oecuménisme, absence de collégialité et de démocratie, embargo sur les embryons. A peine ai-je prononcé le nom de Mozart, vous prononcez celui du héros préféré des Français, le bon, pauvre, exemplaire et saint abbé Pierre. Je m’incline, je n’ai rien dit.  Tout de même, ce pape a tenu à ce qu’on sache qu’il aimait jouer du Mozart. N’y a-t-il pas là un message ? Un signal pour initiés ? Un geste éminemment historique et politique ?  Une proposition d’alliance entre esprit des Lumières et Saint-Siège ? On peut se le demander. Après tout, Voltaire, en son temps, n’a pas hésité à dédier sa pièce « Mahomet » à Benoît XIV, qui d’ailleurs l’en a remercié en lui envoyant sa bénédiction. Le rappel de cette anecdote accentue, chaque fois, le sourire de Nietzsche. N’oublions pas que le pape est un chef d’Etat, et qu’on aimerait savoir si Bush, Poutine, Sharon et tous les présidents iraniens, syriens ou autres pourraient, avec un peu d’effort, pianoter du Mozart. Ce serait rassurant pour l’avenir de la planète. Mais je crains de n’être pas suivi sur ce point.  Il y a en tout cas, jour et nuit, beaucoup de bruit et de fureur pour pas grand-chose, se dit parfois Benoît XVI, après une journée de travail épuisante et des rencontres en plein air où il a été obligé d’écouter beaucoup de très mauvaise musique. Il rentre dans ses appartements, sa violiste lui joue un air, le silence s’approfondit. Puis il va vers son piano, et Dieu existe.


La musique de Mozart est celle de l’acceptation de la douleur, dans un parcours d’élévation vers la sagesse.

 

Philippe Sollers  

Le Nouvel Observateur, - n°2146_2147

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